Benoît de Maintenant sj
Préfet des études en classes préparatoires du lycée Sainte-Geneviève à Versailles
Benoît de Maintenant sj
Préfet des études en classes préparatoires du lycée Sainte-Geneviève à Versailles
regard spirituel
Travailler dur… mais en vue de quoi ?
Dans un monde en pleine mutation, l’indétermination sur l’avenir peut réveiller une angoisse fondamentale : « que vais-je faire ? », « que vais-je devenir ? ». Benoît de Maintenant explore ce sentiment d’angoisse et le désir qu’il cache, particulièrement prégnant chez les jeunes.
L’angoisse fondamentale de l’indétermination
Dès les classes de collège, parfois même au primaire, on demande à un enfant ce qu’il veut faire plus tard et une réponse semble attendue. Quelle pression énorme, « je dois savoir ce que je vais faire de ma vie » !
Une première manière de faire tomber l’angoisse consiste répondre à la question avec des « solutions » faciles. Ainsi, on veut devenir « ingénieur », « faire du commerce » ou être « chargé de projet » : ces expressions sont passe-partout, des mots qui hébergent trop de réalités et n’aident pas à savoir « qui je suis ». Mais avoir répondu rassure et évacue le problème en apparence. Une autre manière de fuir la question est la « distraction » : remplir l’agenda avec du sport, des jeux, de l’informatique, de l’alcool ou des drogues, une vie sociale, affective ou sexuelle surchargée, des engagements associatifs débordants. Cette suractivité fait oublier temporairement la question « que faire plus tard ? » et ne permet pas de l’affronter.
Mais la question vers laquelle se tourner n’est-elle pas « qui es-tu ? », « qui veux-tu devenir ? » ou encore « où demeures-tu ? » (Jn1). La réponse est toujours indéterminée mais n’est-ce pas une bonne nouvelle qu’il faille inventer du neuf pour y répondre ?
Accepter ses manques, les observer, les aimer et les interpréter permet de chercher son désir profond
Avec l’indétermination apparaît une autre réalité, celle de l’insatisfaction qui peut être relationnelle, affective, professionnelle. Le sentiment de ne pas être assez utiles, de ne pas changer le monde, de ne pas être généreux ou bien payés… La vie passée et présente ne comble pas. Accepter ses manques permet passer de l’insatisfaction au désir et du désir à la décision.
Mais patience avant d’agir trop vite, il faut vivre sereinement le travail de l’impatience et croire que l’avenir est une promesse, non une menace. Il s’agit de découvrir son désir avant de chercher quel professionnel être. Par exemple, l’envie de « sens » montre que l’action doit être orientée vers des valeurs ou une cause, la quête d’absolu se manifestant par une volonté d’impact au niveau planétaire. Le défi est de découvrir que tout projet commence par un premier pas courageux, souvent modeste. L’envie d’être « utile » souligne la dimension relationnelle du désir, qui se définit de manière extrêmement diverse, d’une conception ou d’une valeur à l’autre.
L’enjeu, ici, est de découvrir que le résultat seul ne compte pas, la manière de procéder a de l’importance : être à plusieurs dans l’aventure, bien s’entendre, être efficace avec le sourire…
Prendre conscience que le silence révèle. Dans un quotidien chargé de multiples activités et sollicitations, il s’agit de dépasser la peur, en s’arrêtant, d’être face à soi-même, face à l’angoisse et au vide. Comment gagner confiance en soi ou confiance en Dieu, condition pour s’autoriser à « débrancher » pour chercher ?
Quelle est la place du Christ ?
Pour certains, il n’y a explicitement pas de notion de foi chrétienne dans leur vie. Personne ne leur pose la question « où demeures-tu ? ». Pourtant, ils ont des désirs et cherchent à les honorer. Je pense en particulier aux personnes soucieuses d’écologie. Elles ont une démarche de foi : elles ignorent complètement l’avenir mais elles ont cette espérance que le monde bougera dans le bon sens. En revanche, ignorantes des traditions spirituelles, elles ne se rendent pas toujours compte que leur vie intérieure est soumise à des alternances normales que j’appellerais volontiers des consolations et des désolations. Certains jours, elles sont saisies par un catastrophisme criant, d’autres par une espérance un peu folle. Dire où elles demeurent éclaire la manière d’accueillir le désir dans chacun de ces moments.
Pour le chrétien, la chance est d’avoir explicitement cette question à entendre et de savoir qu’elle est juste. Toute réponse, même partielle, est une bonne nouvelle. Que je demeure dans l’angoisse, dans l’insatisfaction ou le désir encore inassouvi, que je sois en train de chercher ou de créer, je prends à bras-le-corps l’invitation du Christ à demeurer. Patience, ce travail avancera en confiance vers une création nouvelle, un avenir ouvert. Cette promesse n’est pas une évidence de ce qui advient mais la foi que le chemin va être passionnant.