Bertrand Heriard

Aumônier national

Bertrand Heriard

Aumônier national

enseignement social

Un dialogue, d’hier à aujourd’hui

Mûrie au fil des temps, la doctrine sociale de l’Église (DSE) peut s’interpréter en fonction de différentes conceptions de l’histoire. Il existe trois manières de se la représenter : internaliste, externaliste, contextualiste.

La conception internaliste souligne le développement chronologique du contenu des quelques 22 lettres qui composent le corpus magistériel, d’où l’importance des dates anniversaires de la première d’entre elles, Rerum novarum (1891).

Trois lectures de l’histoire

Certes, les questions sont nouvelles, mais le message se développe avec une cohérence interne, ce qui lui donne la force d’une tradition philosophique et théologique sûre d’elle-même. Les papes citent beaucoup leurs prédécesseurs, sauf quand ils les contredisent, ce qui est rare. Un tronc principal porte sur le travail, la situation des ouvriers, les droits de l’homme… Puis une maîtresse branche se détache sur les questions de développement. Les questions sont différentes mais la théologie est la même. La doctrine sociale est un trésor dont les chrétiens tirent du neuf et de l’ancien. La conception externaliste est mise en œuvre par des historiens qui étudient la manière dont les chrétiens répondent aux questions de leurs temps. Ils s’intéressent plus à la diversité des pratiques qu’à la cohérence du discours.

La conception contextualiste essaie de comprendre la dialectique entre la dynamique interne du corpus magistériel et la dynamique externe des différents contextes. La doctrine sociale est constituée par l’ensemble des pratiques chrétiennes, sédimenté dans des discours, eux-mêmes arbitrés par le magistère des évêques et des papes. Ainsi, Rerum novarum est le fruit de la forte mobilisation des catholiques sociaux tout au long du XIXe siècle et de l’arbitrage par rapport à d’autres mouvements. La lecture contextualiste reconnaît la cohérence interne que développent les théologies internalistes et souligne l’intérêt de dégager des principes fondateurs de cette doctrine. Mais, avec les externalistes, elle note par exemple que l’option préférentielle pour les pauvres apparaît en 1979 et que la reconnaissance de la « laïcité » comme faisant partie de la doctrine sociale catholique n’apparaît dans un texte pontifical qu’à l’occasion du centenaire de la loi de 1905.

Controverses passées et futures

La notion de controverse est essentielle pour la lecture contextualiste: controverses entre la théorie et la pratique, plus exactement entre les théologies et les pratiques des chrétiens, controverses entre les grands courants constitutifs du christianisme social, controverses entre les progressistes et les conservateurs, entre pays du Nord et pays du Sud, entre les riches et les pauvres…

L’approche contextualiste ouvre ainsi le champ de la doctrine sociale: si les chrétiens sont dans le monde, les préoccupations du monde sont leurs soucis, les débats du monde sont leurs débats, les contradictions du monde sont leurs inquiétudes. Les thèmes de la doctrine sociale ne sont pas seulement ceux qu’on trouve dans les encycliques et dans le Compendium. Même les « silences de la doctrine sociale » deviennent des thèmes en attente: crise écologique, montée des inégalités, régulation financière, situation des familles…

Aucune question n’est taboue. S’emparer de nouvelles questions est même un enjeu théologique. Afficher un pluralisme n’est pas mettre en danger l’unité. Se disputer entre chrétiens est même un signe de vitalité. Ouvrir le débat, veiller aux conditions d’un dialogue patient et constructif est même une tâche « catholique »

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