Anne-Florence Quintin
Secrétaire générale adjointe de la Cfdt Cadres, Déléguée générale de l’Observatoire des cadres et du management, et administratrice de l’Apec.
Anne-Florence Quintin
Secrétaire générale adjointe de la Cfdt Cadres, Déléguée générale de l’Observatoire des cadres et du management, et administratrice de l’Apec.
analyse
La semaine de quatre jours : des pistes de réflexion
Quelles qu’aient été les expériences récentes de télétravail, de confinements Covid, ou de travail d’urgence, ces moments de doute, de coupures, de perte de garanties ont valu comme break, mini-apocalypse, renouvelant le sentiment qu’il faut recommencer. Par quoi ? Une mise au point sur le temps. C’est ainsi que s’expriment les attentes, notamment des cadres, ces salariés pour la plupart en forfait jours – donc non soumis aux 35 heures au nom de leur autonomie de travail et de la nature de leurs tâches.
Un peu rapidement, la solution émerge : la semaine de quatre jours devient l’alpha et l’oméga d’une réforme du temps de travail, avec un éventail de modalités d’application : semaine de quatre jours avec fermeture imposée à tous d’une journée, en cumul ou remplacement d’un jour de télétravail, avec ou sans réduction du temps de travail (cela revient pour les cadres à une diminution du forfait jours annuels).
Alpha et oméga des enjeux de temps de travail ?
À chaque difficulté d’organisation collective de l’entreprise, sa semaine de quatre jours… et son impact RH espéré ! Nulle nécessité de « voter » au Parlement, puisque la mesure se négocie en fonction des réalités d’entreprises, de territoires, pour répondre à des besoins singuliers. Voilà une possibilité nouvelle d’assouplissement sans créer un « droit à congé spécifique », à condition que la négociation, et l’ouverture d’un dialogue professionnel entre les différents acteurs de l’entreprise soit possible.
Dans les faits, rares sont aujourd’hui les négociations sur la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail : c’est le cas dans le secteur agroalimentaire qui pâtit de conditions de travail dégradées et de conventions collectives avec des coefficients de rémunération non réactualisés sous le Smic. La semaine de quatre jours y est déjà depuis quelques années une réparation bricolée d’un déséquilibre social et de la précarité.
Actuellement, les négociations en cours ont lieu pour la plupart dans des entreprises à fort taux de cadres : des cabinets de conseil, des bureaux d’études, là où le travail « du cerveau » ne peut être compté comme « une tâche » de production mais comme un engagement de coordination, de créativité, d’expertise, d’organisation du travail et de liens.
Que recommence-t-on alors, avec cette volonté de meilleure maîtrise de son temps ?
Une qualité d’emploi du temps de tous les jours : nul rêve ici d’année sabbatique dans des îles paradisiaques, mais une volonté pour certains de rendre possible un meilleur accueil de leurs enfants en garde alternée, de rendre tenable un rythme d’aidants, pour beaucoup de rendre possible un engagement associatif, un temps de reconversion professionnelle ou encore une vie de couple éloignés géographiquement… Des spécificités de vie qui n’ont pas vocation à créer de nouveaux droits sociaux dans le contrat de travail, mais qui sont résolues par cette mesure d’aménagement. Bref, une défragmentation de nos obligations quotidiennes pour mieux vivre le présent.
Cette semaine de quatre jours a ses gageures
Des journées longues de 9 heures pour des non-cadres, des résultats à obtenir plus rapidement pour des cadres dépendants souvent des résultats des autres. Pour le manager, c’est aussi le défi de coordonner les temps singuliers au travail, et de concilier la santé au travail avec ceux de la performance.
Voici donc l’heure des travaux pratiques. Pour les managers, ce sera un rappel puissant que le travail ne se réduit pas à un investissement dans une tâche : aménager les rythmes de travail dans la vie, c’est considérer le temps en lui-même, fini, et ne pas céder à la tentation d’y voir une variable d’ajustement de la production humaine. C’est bien pourtant en remettant le travail dans la vie humaine, dans son contexte (travailler dans une entreprise florissante ou dans une entreprise en difficulté ne représente pas la même charge) que l’on pourra distinguer et redonner sens à nos multiples activités. N’était-ce pas au « quatrième » jour du récit de la Genèse que sont créés les luminaires, pour séparer le jour de la nuit, et « marquer les fêtes, les jours et les années » (Gn 1, 14) ? Et ce cinquième jour, n’est-il pas celui de l’insertion des vivants dans le temps ? Voilà un chantier pour ceux qui cherchent à articuler l’accomplissement personnel et les projets collectifs, la solidarité et la rémunération, le sens de la vie au présent et le soin du monde.
Le temps chrétien est supposé s’achever. Quelles sont celles de nos activités qui participent à cette boucle, et quelles sont celles qui, au contraire, se bercent de l’illusion de l’activité infinie dans un temps infini… doublée de la volonté paradoxale et (sur)humaine de maîtriser le tout ?
À lire : « La semaine de 4 jours : pour la CFDT Cadres : prudence ! »
À écouter : l’intervention d’Anne-Florence Quintin sur ce sujet sur France Culture, « Entendez-vous l’éco » avec Philippe Askenazy, économiste.